ETAT DES CONNAISSANCES SUR LA PLASTICITE CEREBRALE

Professeur Jean-Michel Gracies
Service de Rééducation Neurolocomotrice
Hôpitaux Universitaires Henri Mondor, Université Paris-Est Créteil

La plasticité du système nerveux est sa capacité à se modifier, que ces modifications soient structurelles, avec des changements dans le nombre des synapses entre neurones ou dans le nombre de neurones eux-mêmes, ou fonctionnelles, affectant l’excitabilité des synapses présentes ou des membranes neuronales.

Seront revus deux types de facteurs affectant la plasticité cérébrale, différant par leur tropisme plus ou moins précis : les facteurs simplement stimulants ou inhibiteurs de la plasticité cérébrale, sans action franchement localisée, et les facteurs qui non seulement peuvent stimuler mais peuvent aussi guider la plasticité, c’est-à-dire la stimuler dans des régions du système nerveux central spécifiques.

Dans la première catégorie, on inscrit les évènements ou interventions psychiques, l’exposition à des agents chimiques, des stimulations électriques, périphériques ou centrales, l’injection de biothérapies (cellules souches notamment) et des modifications comportementales globales.

Dans la deuxième catégorie se retrouvent essentiellement les lésions et des modifications comportementales précises (entrainements ciblés).

Première catégorie : facteurs stimulants ou inhibiteurs de la plasticité cérébrale

  • Interventions psychiques : il existe beaucoup de démonstrations sur les interventions pouvant réduire le nombre de neurones dans certains groupes cellulaires (stress chronique en particulier, expériences chez des rongeurs et observations chez des enfants ayant vécu des stress infantiles). Il existe cependant aussi quelques démonstrations des interventions positives comme le renforcement positif peut favoriser la connectivité entre régions émotionnelles et régions motrices.
  • Interventions chimiques : les molécules délétères pour la plasticité cérébrale – i.e. antiplastiques – sont particulièrement bien établies : GABAergiques (baclofène, benzodiazépines), inhibiteurs calciques, agents cannabinoides. Il existe de nombreuses autres classes médicamenteuses fortement suspectées d’être antiplastiques : neuroleptiques,  bloqueurs de canaux sodium (lamotrigine autres antiépileptiques, phénytoine inhibiteurs calciques, etc.). Les molécules pro-plastiques chez l’animal sont malheureusement souvent caractérisées par des effets secondaires neurologiques, musculaires, cardiaques et psychiatriques en administration chronique chez l’homme (adrénergiques, dopaminergiques, sérotoninergiques, statines).
  • Interventions comportementales :
    • Concernant la trophicité cérébrale, d’une façon générale, l’augmentation de l’effort aérobie quotidien chez l’animal, le renforcement moteur et les activités cognitivo-motrices complexes (danse) pratiquées sur de longues durées chez l’homme, ont un effet stimulant de la production astrocytaire et neuronale (épaisseur corticale, trophicité de la substance blanche).
    • Concernant l’excitabilité cortico-spinale, dans les programmes d’entrainement spécifiques pratiquées sur le court terme, les ingrédients comportementaux qui augmentent l’excitabilité cortico-spinale sont l’activation musculaire, l’implication de difficulté, d’intensité et d’attention, la répétition et l’observation des pratiques.
  • Interventions électriques : les stimulations corticales à basse fréquence (≤1Hz) ont plutôt un effet inhibiteur et les stimulations à haute fréquence >5Hz, qu’elles soient centrales ou périphériques, ont plutôt un effet facilitateur de l’excitabilité corticale.
  • Interventions cellulaires : les thérapies géniques, par injection de facteurs de croissance ou de cellules souches semblent toutes avoir un effet facilitateur de plasticité

Deuxième catégorie : facteurs stimulants et guidant la plasticité cérébrale

la deuxième catégorie des facteurs pouvant à la fois stimuler et guider la plasticité :

  • La lésion cérébrale est un très puissant facteur de modifications d’excitabilité neuronale dans des régions distantes de la région lésée mais antérieurement connectée à elle, qu’il s’agisse de régions corticales ipsilatérales périlésionnelles, controlatérales homonymes à la région lésée, cérébelleuses controlatérales à la région lésée mais aussi de circuits du tronc cérébral et médullaires.
  • L’entraînement cérébral a étudié chez des sujets sains en dehors de contextes lésionnels (voir ci-dessus) mais surtout en postlésionnel chez l’animal : précocement après lésion (<J25), l’entraînement modéré peut être bénéfique ; une sur- ou sous-utilisation extrême peut limiter la récupération. Tardivement après la lésion, il semble que les ingrédients notés ci-dessus pour l’entrainement chez le sujet sain s’appliquent, en particulier l’intensité, la répétition et la durée.

Les données actuelles sur la plasticité cérébrale et sur les capacités de stimulation de la fabrication neuronale et de reconstruction de circuits cérébraux dans les situations de handicap neurologique chronique sont donc claires : le désir de reconquête du mouvement oblige à un travail d’activation motrice, intense, répétéequotidiennement et prolongée sur des années avec si possible un système de renforcement positif durable et autant que possible l’ablation ou la minimisation de tout dépresseur synaptique systémique.